8°) La courte vie du Lisa... et la gloire du Macintosh

Les deux machines, Lisa et Macintosh, devaient être lancées en même temps, mais le projet Macintosh avait deux ans de retard. L'équipe Lisa n'avait jamais vraiment pu travailler avec Steve Jobs, trop autoritaire et voulant tout contrôler. A la fin de l'année 1980, Markkula et Scott, du conseil de direction d'Apple, finirent par l'évincer du projet Lisa. Même s'il laissait derrière lui une empreinte bien visible dans la conception du Lisa (forme des icônes, esthétique, etc...), le projet continua sans lui. Toujours à la recherche d'un nouveau "joujou", Jobs entra dans l'équipe Macintosh. Il décide alors d'en faire un Lisa plus simple et parie 5000 dollars que le Mac sera prêt avant le Lisa... Lui et Raskin ne s'étaient jamais très bien entendus : Raskin accusa Jobs de vouloir tuer le projet Macintosh dans l'&oeliguf, et quitta la société, abandonnant son invention dont Steve Jobs allait revendiquer seul la paternité. Jobs commença alors à changer l'équipe Macintosh. Dans l'équipe Lisa, la bureaucratie imposée par des informaticiens venant d'autres grandes entreprise (comme Hewlett-Packard) l'avait fait ployer, et il désirait faire revivre au sein de l'équipe Macintosh l'ancien esprit d'Apple. Certains critiquèrent cette attitude qu'ils considéraient comme un fantasme de retour aux sources, mais Steve Jobs réussit à réunir autour de lui une équipe plus habituée à ce style.

 

Hertzfeld (de l'équipe Apple II) et Smith (un autodidacte faisant preuve d'une grande dévotion envers Apple) furent rappelés dans cette équipe, à part dans le monde Apple. On les voyait arriver le matin pieds nus, écouter du rock "hurler dans des haut-parleurs stéréo de deux mètres de haut", ou s'amuser à faire déambuler dans les couloirs un petit robot-jouet, jouant au ping-pong ou tapant sur un piano pendant les courtes pauses qu'ils s'accordaient dans des journées de 16 heures. Sur le toit du bâtiment du groupe Macintosh, un drapeau pirate flottait... Entre-temps, en 1983, Apple présenta enfin le Lisa, mais, à cause de la volonté d'Apple de l'accompagner d'un maximum de gadgets et d'un ensemble cohérent d'applications, le prix en fut fixé à 10.000 $ au lieu des 2.000 initialement prévu. Bien sûr, les applaudissements ne manquèrent pas, mais les financiers d'Apple firent la grimace, le Lisa se vendit mal et n'intéressa que quelques rares développeurs. La carte réseau, indisponible lors de la sortie du Lisa, et le logiciel de traitement de textes fourni, LisaWrite, inférieur à ceux qui étaient proposés avec l'IBM-PC, ne firent qu'augmenter les difficultés à vendre la machine : Apple ne réussit à en vendre que 11.000, soit 6 fois moins que l'Apple III, qui était lui-même déjà un échec commercial... Parallèlement à ces difficultés (échec du Lisa et projet Macintosh toujours plus en retard), une réorganisation importante eut lieu au sein de la société : Markulla, qui avait succédé à Scott à la direction d'Apple démissionna, et le conseil d'administration dut trouver un nouveau président pour la société. Les membres du conseil portèrent alors leur dévolu sur John Sculley, président de Pepsi-Co et très bien considéré par les milieux financiers. Il refusa tout d'abord, peu intéressé par la vente d'ordinateurs, mais ce qui le fit changer d'avis fut une question que lui posa Steve Jobs : "Voulez-vous vendre de l'eau sucrée toute votre vie, ou voulez-vous venir avec moi pour changer le monde ?".

 

Les troupes de Steve Jobs avaient à faire face à des problèmes aussi important que ceux auxquels avait du faire face l'équipe Lisa. Pour minimiser le coût de cet ordinateur, ses concepteurs ne l'avaient doté que de 128 Ko de mémoire, soit 8 fois moins que pour le Lisa. Le Macintosh devait pourtant être aussi performant. Jobs avait recruté Bill Atkinson, du groupe Lisa, pour reprogrammer QuickDraw, base de l'affichage graphique du Lisa et du Macintosh, et en fournir une version beaucoup plus compacte. Atkinson mit plus de deux ans pour réaliser cette tâche pratiquement impossible, et il réussit à réduire au septième le code QuickDraw, passant de 160.000 à 24.000 octets. Dans le même temps, d'autres programmeurs accomplissaient aussi des exploits. Hertzfeld et son équipe durent s'occuper de la ToolBox du Macintosh, qui contient tous les éléments -menus déroulants, fenêtres, souris, etc...- nécessaires à la programmation sur Mac. Cette ToolBox permettait de fournir des éléments de programmation aux développeurs, et de faire en sorte que toutes les applications du Mac fonctionnent de manière uniforme afin d'en faciliter l'apprentissage. Comme si cela ne suffisait pas, il fallait en plus que la totalité de cette ToolBox tienne sur une puce de 64 Ko... L'équipe d'Hertzfeld réussit à la faire tenir sur deux tiers de cet espace ! A mesure que le projet touchait au but, l'équipe était de plus en plus convaincue d'avoir participé à un évènement historique. Jobs s'arrangea même pour faire graver la signature des 47 principaux participants dans le boîtier en plastique du modèle. Sculley et le comité de direction furent pris de fièvre Macintosh, et se mirent d'accord pour investir 15 millions de dollars dans la promotion et la publicité du nouveau produit. 1,5 million de dollars furent notamment investis pour un spot télévisé diffusé une unique fois lors de la finale du SuperBowl, en 1984. Ce spot publicitaire s'inspirait de 1984, le roman de Georges Orwell traitant du totalitarisme. On y voyait des êtres humains réduits à l'état de zombies, crâne rasé et uniforme neutre, regardant un écran de télévision géant affichant le portrait de Big Brother.

 

 

Soudain surgit une jeune femme athlétique qui brise l'écran de télévision en lançant dessus un marteau, pendant qu'une voix-off déclare «Le 24 janvier, Apple Computer présentera le Macintosh. 1984 ne sera pas "1984"». Les spectateurs de cette allégorie à peine voilée reconnurent en Big Brother la personnification de Big Blue, c'est à dire IBM. Apple prenait ainsi sa revanche sur la société qui lui avait volé sa première place avec le PC. Depuis quelques semaines, Apple avait fait signer une clause de discrétion aux journalistes, leur interdisant de divulguer des renseignements sur le Macintosh avant la date fatidique du 24 janvier. La société Regis McKenna, chargée des relations publiques d'Apple savait bien (et espérait) qu'il y aurait des fuites. C'est en effet ce qui arriva, et l'atmosphère d'attente atteignit un tel degré de fébrilité que lorsque finalement le Macintosh fut annoncé, lors de l'assemblée générale des actionnaires d'Apple à San Francisco, les chaînes de télévision américaine ABC, CBS et NBC le mentionnèrent dans leur bulletin d'information du soir ! Le Macintosh méritait bien le tapage qui l'avait accueilli. Les critiques apprécièrent cette machine, merveille de simplicité tant sur la partie logicielle que la partie matérielle. Il possédait moins de composants que le PC, ce qui réduisait le risque de pannes matérielles, et les logiciels qu'il offrait justifiaient à eux seuls l'achat de la machine. De plus, le système était livré avec la machine, ce qui n'était pas le cas du PC d'IBM. Dans les 6 mois qui suivirent, Apple vendit plus de 100.000 Macs, ce qui dépassait largement les prévisions les plus optimistes de la société.

 

 

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